par Marc Bonhomme
Réponse à la proposition alternative Saillant-Lessard
Pour la libération nationale/sociale : L’indépendance
Dans mon texte précédent « Un pas en avant, deux pas en arrière » portant sur le cahier de perspective (CP) — malencontreusement nommé « cahier de synthèse » — je n’avais pas discuté de la proposition de substituer le terme indépendance à souveraineté. Je me réjouissais de ce que le mot d’ordre de l’indépendance enfin damait le pion à l’insipide « souveraineté populaire », concept qui signifie n’importe quoi et son contraire, pendant social-libéral de la « souveraineté-(votre expression préférée) péquiste. Tout en soulignant que cette proposition, et tout la stratégie à laquelle elle était arrimée, était déconnectée de la lutte contre la crise qui marquera la prochaine période, je la considérais comme « un pas en avant ». Dans mon optimisme, je croyais qu’elle ne ferait pas problème. Jusqu’arrive sur la table la contre-proposition des deux membres de l’exécutif, François Saillant et Stéphane Lessard (SL) :
« Nous ne partageons cependant pas la logique qui sous-tend le cahier de perspectives […] Ce qui nous est proposé est ni plus ni moins que le programme d’un Québec indépendant et d’une éventuelle République du Québec. […] l’indépendance deviendrait, de ce fait, l’article 1 du programme, […] Il est vrai que ce projet de société ne sera réalisable dans son intégralité que si la population fait le choix de faire du Québec un véritable pays, maître de tous ses pouvoirs. Il sera toutefois réalisable en partie dès le moment où Québec solidaire prendra le pouvoir et il le restera tant et aussi longtemps que la population du Québec n’aura pas opté pour un Québec indépendant. […] Nous ne jugeons par ailleurs pas opportun de trancher entre les termes «souveraineté» et «indépendance». […] Nous considérons cependant prématuré d’opter d’ores et déjà pour un régime républicain, […] Nous ne voyons pas ailleurs pas la nécessité de nous étendre aussi longuement que ne le fait le Cahier de perspectives sur la stratégie lors d’un débat sur le programme. »
Voilà posé en filigrane le débat péquiste sur l’étapisme : référendum versus élections référendaires. Ce débat n’est pas encore très net. Il ne fait que débuter. SL sont en effet d’accord avec la stratégie de la direction nationale : élections d’un gouvernement Québec solidaire / assemblée constituante / référendum. Cependant, ils ont vu la faille : que va foutre le gouvernement Québec solidaire entre l’élection gagnante et le référendum… ce qui peut être long. Pour s’assurer que ce sera le plus long possible, nos deux contestataires affirment qu’« [a]près l’élection de l’Assemblée constituante, celle-ci aura la responsabilité et les moyens de mener un vaste processus de démocratie participative visant à consulter la population du Québec… » contrairement au cahier de perspectives qui affirme qu’« [u]ne telle démarche de démocratie participative peut s’amorcer avant l’élection d’un gouvernement proposant l’élection d’une constituante et elle devra se poursuivre après cette élection et être soutenue financièrement par un gouvernement proposant l’élection d’une constituante… ».
Il ne faut pas s’y tromper. SL ont dans leur ligne de mir un bon gouvernement provincial, évidemment de gauche de type social-libéral. Le CP voudrait bien esquiver cette transition en mettant les bouchées doubles sauf que ce moment dans la séquence est bien réel. SL sont des gens de terrain, un tacticien et un organisateur. Ils n’ont que faire de la stratégie. Pour eux, les sauts qualitatifs ne sauraient être qu’une longue série de petits pas. Pour reprendre le vocabulaire de Gramsci, seul existe la guerre de positions qu’on gagne de tranchée en tranchée jusqu’à la conquête de la capitale… ou du capital ! De leur univers est absent la guerre de mouvements qui change brusquement le rapport de forces. Bien sûr, on ne peut pas vivre de l’espérance du grand soir en se contentant, à la mode gauchiste, de ne faire que de la propagande.
Par son orientation générale, sa stratégie, son programme — un programme ne se construit que dans le cadre d’une orientation et d’une stratégie — et ses plate-forme, ses campagnes politiques, ses prises de position, ses liens avec les militantes sociales, la qualité démocratique de son organisation, l’honnêteté et l’abnégation de ses propres militantes, le parti doit en effet gagner graduellement des positions, tant idéologiques que politiques qu’organisationnelles et institutionnelles. Cependant, quel est le but de cette guerre de position ? Gagner les élections afin d’être un bon gouvernement tout en préparant une nouvelle « révolution tranquille » par l’Assemblée constituante ? C’est ne pas comprendre que la première « révolution tranquille » ne fut ni une révolution ni tranquille mais une grande mobilisation sociale, qui a culminé dans un grand mouvement gréviste et de gigantesques manifestations, afin de moderniser le traditionnel et soumis capitalisme québécois francophone pour l’ajuster à l’ère de l’État providence. Toutefois, faute d’hégémonie du peuple travailleur dans son alliance avec la petite et moyenne bourgeoisie, en a résulté la consolidation de « Québec Inc », avec sa pointe de grand capital, qui a rejeté l’indépendantisme libérateur de ce mouvement de libération, grâce au PQ, puis n’a eu cesse de charcuter les gains populaires depuis l’avènement de l’ère néolibéral, toujours avec l’aide d’un PQ néolibéralisé.
La première « révolution tranquille » fut une guerre de mouvement, particulièrement sa dernière période 1967-1976 où le mouvement populaire a durement affronté le capital dont l’émergeant Québec Inc. et son État. Le but de la guerre de position n’est pas la conquête du pouvoir institutionnel mais vise à acquérir la crédibilité de diriger la guerre de mouvement qui va révolutionner la société quand ceux d’en haut ne seront plus capables de diriger et que celles d’en bas auront leur voyage et se mobiliseront en masse. Si on reste prisonnier de l’électoralisme comme le sont à la fois SL et le CP, la gauche sera condamné à s’épuiser en un perpétuel oscillement entre le Charybde du pragmatique bon gouvernement social-libéral et le Scylla de la fuite en avant d’une Assemblée constituante décrochée de la réalité de la lutte contre la crise. Il ne s’agit pas pour autant de rejeter la lutte électorale afin de pénétrer les institutions : elle a son importance dans la guerre de position. Il s’agit encore moins de rejeter l’Assemblée constituante : sans en faire une vache sacrée, elle pourra consolider les gains démocratiques et sociaux d’une guerre de mouvement, comme ce fut le cas, en tout ou en partie, au Venezuela, en Bolivie et en Équateur.
Rien à attendre du PQ
Soyons d’abord clair au sujet du PQ, parti de centre-droit qui fut celui qui a mis fin à la guerre de mouvement qu’a été la dite « révolution tranquille » en la dévoyant en électoralisme après avoir hégémoniser le mouvement populaire. Peut-on qualifier autrement que de néolibéral, malgré sa phraséologie parfois social-démocrate, un parti qui a été le roi des coupures et des privatisations à la fin des années 90 après avoir écrasé les syndicats du secteur public en 1982 avec sa coupure salariale de 20% ? Rien d’étonnant. Historiquement, le PQ, dans le cadre de l'alliance du beau risque avec le gouvernement Mulroney, a été un enthousiaste de la promotion de l'Accord de libre-échange avec les ÉU, accord qui servira de matrice à tous les autres qui vont suivre dans le monde. La seule différence avec le PLQ est un interventionnisme étatique plus prononcé pour rendre les entreprises québécoises — Québec Inc — plus compétitives sur le marché mondial.
Lors de la dernière élection, la plate-forme du PQ était foncièrement libre-échangiste comme le soulignent les passages suivants :
« Tous ces gestes [du PLQ] ont eu des effets négatifs sur la productivité de nos entreprises. Ils les ont fragilisées et privées d’atouts pour faire face aussi bien à la crise actuelle qu’à la concurrence sur les marchés étrangers. » […]
« 1.2. Soutenir les entreprises
· Éliminer, avant 2010, la taxe sur le capital.
· Baisser le taux marginal effectif d’imposition des entreprises.
· Adopter des mesures fiscales qui visent à encourager l’investissement privé, notamment l’investissement dans les équipements.
· Simplifier la réglementation et les procédures administratives touchant les entreprises.
· Appuyer le développement de l’entrepreneurship. »
Peut-on qualifier autrement le PQ que d’autonomiste, malgré son discours « souverainiste » (pourquoi marginaliser le mot indépendance ?), le parti de la « souveraineté-association », puis de « l’affirmationnisme », puis du « beau risque » avec les Conservateurs, ensuite de l’alliance avec les Libéraux québécois au lendemain de la crise du Lac Meech, ensuite de la « souveraineté-partenariat » avec l’ADQ lors du référendum de 1995, puis des « conditions gagnantes » alors qu’il s’acharnait à fabriquer des conditions perdantes avec sa politique sociale droitière, finalement de plus rien du tout avec l’abandon de la stratégie référendaire sans rien lui substituer.
Une histoire d’oppression nationale encore très actuelle
Le PQ a renoncé à toute stratégie. Pourtant, il n’y a jamais tant eu de motifs de lutter pour l’indépendance par rapport aux enjeux mondiaux de la guerre, de l’écologie et du néolibéralisme où le fédéralisme canadien se tient fermement à droite. Raison de plus pour renouer avec une stratégie et une stratégie de libération nationale et sociale.
Plus qu’au Canada anglais, le peuple québécois désire le retrait des troupes canadiennes. Ce parti-pris n’est pas dû au hasard mais à un sentiment anti-guerre et anti-oppression issu des luttes contre la conscription de 1917 et 1942 et de l’occupation du Québec par l’armée canadienne en octobre 1970 tout comme de son intervention dans la crise d’Oka en 1990. Le soutien de l’accord de Kyoto, même imparfait, par le gouvernement québécois vient du choix délibéré lors de la dite Révolution tranquille de privilégier l’hydroélectricité nationalisée, y compris pour le chauffage électrique résidentiel, alors que le gouvernement canadien mise sur l’augmentation rapide des exportations vers les ÉU du pétrole provenant des très polluants sables bitumineux de l’Alberta comme fer de lance de la croissance économique.
Le gouvernement canadien, après avoir néolibéralisé le Canada dans le cadre de l’ALÉNA avec l’encouragement enthousiaste du PQ, l’enfonce dans cet ALÉNA-plus qu’est le Partenariat pour la sécurité et la prospérité (PSP) qui soumet en catimini les politiques commerciales, énergétiques, halieutiques, sécuritaires et militaires du Canada directement aux diktats des gens d’affaires du Canada et des ÉU, et continue à signer des accords bilatéraux de libre-échange. Pourtant, lors du Sommet des peuples en 2001, des dizaines de milliers de manifestantes du Québec et d’ailleurs avaient dit « Non à la ZLÉA », extension de l’ALÉNA à l’ensemble des Amériques.
Faut-il se surprendre que le gouvernement fédéral refuse de secourir les industries forestière et manufacturière du Québec à la hauteur de l’aide milliardaire qu’il consent pour l’industrie de l’automobile ontarienne ou même du favoritisme environnemental aux très polluants sables bitumineux de l’Alberta. Il ne s’agit pas de faire des cadeaux à ces transnationales, comme le voudrait le Bloc québécois. On peut parfaitement concevoir une politique de soutien à l’investissement conditionnel à des mesures de partage du travail sinon de création d’emploi, d’amélioration des salaires et conditions de travail, de protection environnementale et, last but not least, de prise de participation gouvernementale à l’actionnariat.
Que dire de la politique sécuritaire du gouvernement canadien tant par rapport à la criminalisation de la jeunesse, y compris pour la consommation de drogue, que par rapport à son préjugé favorable à la peine de mort et en passant par une ligne dure d’emprisonnement envers les criminels au détriment de la réhabilitation. Cette politique « à l’américaine » s’oppose non seulement aux sentiments majoritaires anti-répressifs du peuple québécois mais aussi, jusqu’ici, à la politique du gouvernement québécois.
Dorénavant, le Canada se construit selon l’axe pétrolier Toronto-Calgary, avec son emphase sur la rente, qui se substitue à l’axe moribond « Canada central » Toronto-Montréal dont la dominante était le profit manufacturier. Non seulement l’indépendantisme en devient-il plus pertinent économiquement mais aussi socialement car la rente a toujours été la base matérielle du capitalisme le plus réactionnaire, particulièrement envers les femmes, les gays/lesbiennes, les minorités de couleur et les autochtones, ce que les politiques du parti Conservateur ont amplement démontré.
D’une part, l’État canadien s’est construit dans la conquête des nations amérindiennes, métis, acadienne et québécoise et l’assimilation des minorités francophones et par l’importation d’une nation anglophone à leurs dépends. D’autre part, le peuple québécois a la masse critique en termes démographique, économique et territoriale pour avoir un État viable et a démontré à maintes reprises depuis l’échec de la révolution nationale de 1837-38, surtout depuis la dite « révolution tranquille », sa volonté indépendantiste comme moyen de mettre fin à son oppression nationale.
Un parti de gauche saisit le maillon faible de la Confédération canadienne, la question nationale québécoise. Il comprend l’histoire du peuple québécois faite de conquête, de rébellion écrasée dans le sang, de constitution imposée, de conscription forcée, d’occupation armée, de rejet de l’autodétermination référendaire et du mépris des commandites. Il réalise que bon an mal an la volonté souverainiste, malgré le lâchage péquiste, oscille entre 40 et 50%.
S’ensuit que l’unité de des peuples de l’État canadien passe par l’éclatement du Canada avant d’aboutir à de nouveaux arrangements institutionnels dans un cadre à déterminer (néo-canadien, nord-américain, américain et mondial) au gré de la lutte sociale. Loin d’affaiblir la gauche canadienne, le développement et l’aboutissement de la lutte de libération nationale du peuple québécois, qui n’a rien à voir avec le projet d’État néolibéral à la PQ incapable d’unir le peuple québécois même francophone, constitue le maillon faible, dans la conjoncture actuelle, de la domination de la bourgeoisie canadienne.
La lutte contre la crise passe par l’indépendance
L’indépendance est indispensable pour contrer la crise à moins de penser que la lutte pour l’indépendance n’est pas un axe stratégique pour la libération nationale et sociale du Québec mais un rajout culturel et linguistique, aussi indispensable soit-il. La crise globale du capitalisme, tant économique et financière qu’écologique, alimentaire et énergétique, pose drastiquement la question de qui va payer la crise. Il est futile d’en appeler à une création massive d’emplois bien rémunérés et stables par un investissement massif dans des infrastructures écologiques et par la bonification des services publics sans au départ s’assurer que le peuple québécois contrôle démocratiquement les flux d’épargne et d’investissement.
Le peuple travailleur va-t-il payer pour sauver les banques, comme c’est maintenant le cas, ou les banques vont-elles… passer à la caisse pour sauver le peuple ? Tel est le défi de Québec solidaire dans la très turbulente période qui ne fait que commencer malgré l’apparente accalmie qui n’arrête pas pour autant la progression du chômage. La première tâche de tout plan de gauche contre la crise est donc la nationalisation sans compensation des institutions financières pour en faire un service public essentiel contrôlé démocratiquement comme le sont partiellement les garderies populaires du Québec. L’expropriation des institutions financières, c’est la clef de voûte de tout l’édifice de reconstruction écologique et égalitaire de la société.
On objectera que le Québec n’est qu’une province canadienne sans pouvoir significatif sur le capital financier. Il y a maintenant plus d’une génération que le peuple québécois a trouvé la réponse programmatique — l’indépendance — pour se sortir de ce cul-de-sac. Sans l’indépendance, le peuple québécois reste coincé dans un goulot d’étranglement bloquant toute solution de gauche à toute crise socio-économique et politique. Il fusionnera sa haine de l’oppression nationale, sans l’instrumentaliser, avec la haine des banques et du patronat que le déploiement de la crise ne manquera pas de susciter.
La crise permet de donner à la revendication de l’indépendance sa pleine signification de gauche, non seulement vis-à-vis Ottawa, siège du pouvoir politique fédérale, mais aussi vis-à-vis de Bay Street, siège du capital financier canadien et de Wall Street, siège du capital financier étasunien. S’emparer des institutions financières, épine dorsale de la bourgeoisie canadienne dont la carence manufacturière est légendaire, nécessite que la nation québécoise en ait le pouvoir constitutionnel, ce qui requiert l’indépendance. Ainsi il deviendra possible de mettre sur pied la Banque populaire du Québec sous le contrôle du peuple travailleur.
Il est résolu que :
L’indépendance du Québec est une urgence non seulement nationale mais aussi économique, écologique et sociale. Elle est la revendication-clef pour libérer l’énergie créatrice du peuple québécois pour contrer la crise globale du capitalisme. C’est l’axe central de notre stratégie.
Marc Bonhomme, 22 septembre 2009
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