mardi 13 mai 2008

Proposition sur les fermetures d'usines

Propositions à propos des fermetures et congédiements de groupe
par Marc Bonhomme

Fermetures de la Golden Brand, de Crocs… et de Cari-All
Il faut jouer dur avec les durs

En mars, la compagnie Golden Brand, filiale depuis 1998 de la compagnie étasunienne The Men's Wearhouse, annonçait le fermeture définitive de son usine de Montréal congédiant 540 travailleuses, dont 80% de femmes souvent monoparentales, provenant de 21 nationalités. En avril, la compagnie Crocs de Québec, autre filiale étasunienne de fraîche date, fermait son usine de fabrication de sandales mettant 350 à 600 personnes — le chiffre varie selon les sources — à pied dont environ un tiers de néo-Québécoises. Pour ces deux compagnies, c’était la phase finale de congédiements d’usines qui avaient compté respectivement il y a quelques années plus de mille ou près de mille travailleuses.

Faut-il pour autant blâmer l’impérialisme étasunien ou les salariées des pays à bas salaire puisque la production de ces deux usines y sera transférée ? En janvier dernier, la compagnie montréalaise Cari-All, propriété à 85% de la Caisse de dépôts et de placement et du Fonds de retraite des enseignants de l’Ontario (Teachers) fermait son usine montréalaise (200 travailleurs plus 200 sur la liste de rappel) pour transférer la production en Caroline du Nord ! Cette fois-là, c’est la hausse du huard qui servit de prétexte. Il ne faut pas être dupe de la tactique capitaliste d’opposer les travailleurs entre eux, au sein du Nord comme du Sud, du Nord à ceux du Sud et même au sein d’une même transnationale.

Ces fermetures ne sont que la partie visible de l’iceberg. Selon Radio-Canada, « [q]uelque 130 000 emplois ont été perdu dans le secteur manufacturier en 2007 au Canada. Il s'agissait d'une augmentation de 200 % par rapport à 2006. » Comme quoi, la crise a bel et bien débuté dans le secteur manufacturier malgré qu’elle soit encore masquée par la bonne tenue de la consommation intérieure et l’exportation des ressources dont surtout le pétrole albertain.

Ce qui frappe l’imagination c’est à quel point ces deux entreprises sont des « success stories » de rentabilité et de croissance, particulièrement Crocs. De toute évidence, il faut une rentabilité néolibérale au capital financier. De publier à la une Le Devoir du 16 avril 2008 qui n’en revenait pas :
« …pour envoyer «un signal aux marchés […], ils ont "flushé" le Québec. […] Alors que les revenus se chiffraient à 14 millions en 2002, ils étaient de 350 millions en 2006, puis de 850 millions l'an dernier, générant du coup 168 millions de profits. […] pourquoi diable une entreprise en pleine croissance voudrait fermer une usine […] les revenus du troisième trimestre, bien qu'ils aient carrément doublé en un an, risquent de décevoir les analystes. Ceux-ci attendaient 258 millions, mais l'entreprise avait généré seulement 256 millions. De plus, leur dit-elle, les ventes de 2007 allaient finir autour de 820 millions, en deçà des 830 millions que prévoyaient certains analystes. »

Les partis politiques néolibéraux, c’est-à-dire tous ceux qui acceptent comme indépassable la loi de la concurrence, crient au « capitalisme sauvage » mais ce n’est que larmes de crocodiles… et un mot de trop. Finalement, les partis au pouvoir acceptent la décision de fermeture, à des mesures d’atténuation près et encore. L’opposition nationaliste ne réclame que des mesures de retardement, soit l’emploi de clauses de « sauvegarde » permises par l’OMC pour un maximum de cinq ans (Bloc québécois) ou de soutien financier à l’entreprise ou aux travailleuses congédiées en imitant… la générosité ontarienne (PQ). Quant à l’ADQ, il trouve « le gouvernement libéral ne fait rien pour créer, au Québec, un contexte économique compétitif. » sans doute en baissant plus encore l’impôt des entreprises et en étant encore plus anti-syndical. Comme ils n’ont pas de députés impliqués, Libéraux fédéraux et NPD gardent le silence sauf un appui passif pour le NPD aux travailleuses de la Golden Brand sans toutefois se déplacer à la manifestation anti-fermeture du 19 avril contrairement au PQ, Bloc et Québec solidaire qui y avaient leurs bannière et/ou délégation.

La plate-forme de Québec solidaire votée au Congrès de mars 2008 ne contient que les deux propositions suivantes concernant les fermetures d’entreprises :
Favoriser les coopératives de travailleurs et travailleuses qui décident de reprendre une entreprise lorsqu’elle ferme, lorsque ses activités sont « délocalisées » ou lorsque les propriétaires décident de la vendre.
Exiger le remboursement des prêts et des aides fiscales des entreprises qui « délocalisent » leurs activités.

Comme ni Golden Brand ni Crocs n’ont reçu de prêts et aides gouvernementaux spécifiques ne resterait que d’accepter les fermetures et d’inviter leurs travailleuses à s’organiser en coopératives de travail ! C’est là une capitulation devant les transnationales, grandes ou petites. C’est là accepter comme indépassable la loi de la concurrence. Cette capitulation est d’autant plus problématique que le Québec, tout comme le Canada et les ÉU, entrent dans une longue récession où les fermetures et les congédiements massifs seront nombreux.

Une position antinéolibérale, si ce n’est anticapitaliste, contre la fermeture d’entreprises rentables ne peut être que leur interdiction sous peine de saisie partielle ou totale de leurs actifs pour les transformer en entreprises d’État gérés conjointement avec leurs travailleuses. [Abandonner un groupe de travailleuses désargentées et sans expérience de gestion à la voracité du marché serait pur cynisme.] S’ajoute la possibilité, tout à fait applicable à Golden Brand, à Crocs et à Cari-All, de fermer à ces entreprises partiellement ou totalement le marché québécois, un pensez-y bien en ces temps de début de crise économique. Avec les durs il faut être sans pitié.

Est-ce suicidaire comme le pense le commentateur du Devoir (Perspectives – Capitalisme sauvage, 21 avril) ?
« "L'entreprise ne nous appartient pas, on ne la nationalisera pas", a grogné la semaine dernière Raymond Bachand. Les pays d'Europe qui ont adopté des lois visant à rendre plus difficile la fermeture d'une usine n'ont généralement obtenu qu'une plus grande réticence des entreprises à ouvrir de nouvelles installations et à engager de nouveaux employés. »

Ce que le ministre Bachand ne dit pas c’est que la fuite des capitaux est déjà en marche depuis l’instauration de l’Accord de libre-échange Canada-ÉU (ALÉ) puis de l’Accord de libre-échange du nord de l’Amérique (ALÉNA) ? D’environ 1-2% du PIB canadien en 1980, les flux annuels de placements extérieurs de la bourgeoisie canadienne aux ÉU comptent désormais pour environ 4-5% du PIB. La tendance inverse est aussi vraie à un niveau légèrement supérieur, ce qui pose le problème du contrôle de l’économie canadienne et québécoise étant donné que la profondeur de l’économie canadienne n’est pas celle des ÉU et que les grandes banques canadiennes s’américanisent. Sans compter que l’écrasante majorité des ces investissements ne sont pas des investissements nouveaux créateurs d’emplois mais plutôt le prétexte à des « rationalisations », c’est-à-dire des congédiements massifs et des fermetures.

Arrêter les sorties de fonds vers les ÉU ou pour des investissements miniers en Amérique latine et en Afrique, comme le fait Barrick Gold qui veut ruiner la maison d’édition Écosociété par un SLAPP, est bien sûr incompatible avec l’ALÉNA. Le Sommet des peuples d’avril 2001, tenu à Québec, avait dit non à la ZLÉA c’est-à-dire l’extension de l’ALÉNA aux Amériques. On s’attend à ce que la plate-forme de Québec solidaire soit l’héritière de cette décision, ce qu’elle n’est pas sauf aux Calendes grecques (« Viser le remplacement des pactes libre-échangistes tels que l’ALÉNA ou la ZLÉA… »).

Qu’en est-il des fermetures d’usines non rentables et des banqueroutes comme, par exemple, l’entreprise de fabrication de meubles Shermag qui emploie 800 personnes après en avoir employé 2 000 il y a quelques années ? Elle blâme le bas coût de la main d’œuvre chinoise et la hausse du huard. Soit. Premièrement, cela prouve la nécessité de l’indépendance du Québec pour qu’il se dote d’une Banque du Québec qui fixera un taux de change non en fonction du pétrole albertain mais de la viabilité du secteur manufacturier québécois.

Deuxièmement, cela pose la question de l’équilibre commerciale avec le reste du monde. Un Québec indépendant, une fois sorti de l’ALÉNA, sera en mesure de faire des ententes commerciales d’État à État garantissant l’équilibre des échanges commerciaux. (À remarquer qu’avant la hausse du huard, Shermag s’en tirait relativement bien en se spécialisant dans l’ameublement haut de gamme.)

Les autres pays bouderont-ils le Québec ? Même les deux candidats démocrates à la présidence étasunienne ont déclaré vouloir remettre en question l’ALÉNA. Pense-t-on sérieusement qu’en ces temps de difficulté économique, les entreprises étrangères vont s’empêcher de vendre sur le marché québécois ? Même si certains pays refusaient de faire affaire avec le Québec, leurs concurrents seraient trop heureux de prendre leur place tout comme le Canada, pourtant un fidèle allié des ÉU qui ont déclaré un embargo contre Cuba, est trop heureux de faire affaire avec ce pays, pourtant un bien petit marché comparé au Québec.


Propositions

1. Il est interdit de fermer ou de faire des congédiements de groupe pour une entreprise rentable sous peine d’expropriation partielle ou totale des ses actifs et/ou de se voir fermer partiellement ou totalement l’accès au marché québécois.

2. Suite à la fermeture ou congédiements de groupe d’entreprises non-rentables, les concurrents ou à défaut le secteur concerné ou à défaut l’ensemble des entreprises privées doivent prendre entièrement à leurs charges les travailleurs et travailleuses concernées en assumant indéfiniment leur plein salaire, qu’ils soient reclassés ou non, et leur pleine retraite.

3. Si un groupe de travailleurs et de travailleuses veulent s’organiser en coopérative suite à une fermeture, les entreprises responsable ou bénéficiaire de la fermeture devront les financer au taux du marché et garantir leur mise en marché à prix concurrentiels.

4. Le Québec indépendant se retirera immédiatement de l’ALÉNA et négociera des ententes commerciales d’État à État qui garantiront son équilibre commercial et sa viabilité manufacturière.

5. Le Québec indépendant se dotera d’une Banque du Québec qui fixera un taux de change compatible avec la viabilité des entreprises manufacturières et contrôlera les entrées et les sorties de capitaux.

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