mardi 16 septembre 2008

Capitalisme « vert » ou écosocialisme

NOTE PRÉALABLE
Au printemps dernier, notre dernière assemblée avait décidé d'ouvrir un débat sur notre blog sur le thème « L'économie que nous voulons » dans le cadre du débat général du programme. Voici ma contribution.

Contribution au débat « L’économie que nous voulons »
Capitalisme « vert » ou écosocialisme

L’économie que nous avons est celle du capitalisme néolibéral. Cette économie se montre incapable de résoudre les deux grandes crises auxquelles fait face l’humanité, celle du réchauffement climatique et celle économique déclenchée par la crise hypothécaire étasunienne et la crise financière mondiale qui s’ensuivit, sans compter la crise de la représentativité démocratique qui leur est corollaire.

Les partis traditionnels se réclamant de la gauche — NPD au Canada, Parti socialiste en France, Parti des travailleurs au Brésil — ou du nationalisme mais appuyés par les appareils syndicaux, tel le PQ, ont renoncé à proposer une économie alternative, se contentant de mesures d’atténuation, dites « sociales-libérales ». S’ils prennent le pouvoir, ils renoncent le plus souvent aux quelques réformes promises quand ils ne se font pas eux-mêmes les champions des contre-réformes néolibérales. Faute de vouloir tenir tête aux menaces de grèves d’investissements si ce n’est de fuite de capitaux de la grande bourgeoisie (banques et transnationales s’appuyant sur les grands médias, la bureaucratie gouvernementale, les universités, centres de recherche et surtout sur leurs partis politiques), ils cèdent à leur chantage quand ils ne deviennent pas leur agent. Pour vaincre la grande bourgeoisie et de ses alliés de la moyenne et petite bourgeoisie (PME s’appuyant sur les élites locales élues et non élues), il leur faudrait en priorité, au lieu de compter avant tout sur les élections, mobiliser dans la rue (manifestations, grèves politiques, boycott) le prolétariat (ceux et celles qui doivent, pour manger, se loger, s’habiller et se transporter, vendre la force de leurs bras et la capacité de leurs cerveaux sur le marché du travail sinon dépendre de la charité publique et privée).

La bourgeoisie vaincue, il serait alors possible d’instaurer une économie écosocialiste pour laquelle, en accord avec les échéances du dernier rapport de 2007 du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) issu de l’ONU, on peut distinguer une orientation générale sur l’horizon 2050 et un programme pour 2020 à implanter dès maintenant. À défaut de vaincre la bourgeoisie, profitant de la crise économique majeure qui s’amorce, celle-ci instaurera un « capitalisme vert » autoritaire afin d’imposer une forte régression sociale et économique au prolétariat et aux peuples du monde.

La crise écologique

Selon Greenpeace-Canada, se basant sur le dernier rapport du GIEC,
« …pour maintenir l’augmentation de la température moyenne de la Terre sous cette barre des 2°C, il faut ramener les émissions mondiales de GES au niveau de 1990 dès 2020, puis il faudra les réduire encore de 50 % d’ici 2050.
« Pour le Canada et les autres pays industrialisés, l’objectif est encore plus radical : toujours par rapport au niveau de 1990, il faut réduire les GES de 30 % d’ici 2020 et de 80 % d’ici 2050. »

Loin d’aller dans la direction recommandée par cette organisation spécialisée de l’ONU, selon Philippe Ciais, du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, responsable pour le GIEC des liens entre le système climatique et la biogéochimie, « Nos émissions de gaz carbonique [pour le monde] ont augmenté de plus de 3 % par an entre 2000 et 2005, contre moins de 1 % entre 1990 et 1999. »

Depuis ce rapport de l’ONU, on s’est rendu compte que le réchauffement planétaire est plus rapide qu’anticipé. L’océan Arctique sera sans doute libre de glace en été d’ici 2012-13, et non à la fin du siècle, causant une absorption supplémentaire de chaleur dû à une diminution de l’effet albédo. On vient de réaliser que la fonte du pergélisol arctique dégage beaucoup plus de gaz carbonique que prévu. On s’aperçoit, en conséquence, que la fonte des gigantesques glaciers du Groenland et d’une partie de l’Antarctique s’accélère laissant prévoir une rapide montée du niveau de la mer dans les prochaines dizaines d’années.

Les grandes puissances impérialistes et les grands pays dépendants du BRIC (Brésil, Russie, Inde et surtout la Chine) ont encore une fois, lors du sommet du G-8 de l’été 2008, démontré leur incapacité et leur refus de faire face à cette crise écologique. À moyen terme, c’est l’équilibre de l’écosystème planétaire qui est menacé avec toutes les conséquences socio-économiques que l’on devine. Pour non pas empêcher le réchauffement — il est dorénavant trop tard — mais éviter le déclanchement d’un cercle vicieux incontrôlable, il faudrait pourtant mettre en œuvre dès aujourd’hui un drastique plan de sauvetage.

Crise économique et inflation alimentaire et énergétique

Jusqu’ici le capitalisme néolibéral a réussi à surmonter les crises économiques grâce à l’intensification de l’endettement dans des secteurs ou zones géographiques alternatifs à grands coups de baisse des taux d’intérêt, d’injection massive de fonds sans garantie sérieuse au bénéfice des banques et baisse de l’impôt sur les profits et sur les revenus supérieurs. Après 2001, les placements spéculatifs dans les technologies téléinformatiques s’étant effondrés, la spéculation immobilière a pris le relais sauvant ainsi les bourses de valeurs de la grande plongée. Maintenant que placements tant mobiliers qu’immobiliers dans les pays impérialistes sont en panne, les spéculateurs se précipitent sur les matières premières, surtout le pétrole puis les aliments de base, faisant l’hypothèse de la déconnexion de l’économie des BRIC pour soutenir la demande justifiant leurs placements spéculatifs.

Cette spéculation repose sur des facteurs de fond qui poussent à la hausse des prix alimentaires et énergétiques même si l’effet spéculatif en accentuera les zigzags. Accommodée par le laxisme monétaire étasunien, cette hausse de prix provoque un retour de l’inflation. En effet, le capitalisme néolibéral avait transformé l’agriculture de subsistance en « arme alimentaire » impérialiste contre les pays dépendants contraints par le FMI à donner la priorité aux cash crops pour payer leurs dettes au détriment des cultures de subsistance. Tant que l’impressionnante productivité de l’agro-industrie, à coûts de sols épuisés, de pollution des eaux et d’émanation de gaz à effet de serre, assurait le bas prix des aliments de base, ce marché de dupes apparaissait « efficient ».

Toutefois, le rapide renchérissement des combustibles fossiles a impulsé celui des aliments de base tellement leur production agro-industrielle est énergivore : transport à longue distance de produits à bas ratio prix/volume, mécanisation intensive, engrais et pesticides à base de pétrole et, last but not least, le développement en catastrophe des agrocarburants pour garantir la sécurité énergétique des pays impérialistes suite à leur incapacité d’assurer leur mainmise sur le pétrole du Moyen-Orient, de la Russie, de l’Amérique latine et même de l’Afrique. Ajoutons-y l’effet de serre, source de phénomènes extrêmes telle grandes sécheresses et inondations qui diminuent l’offre, conséquences à la fois du gaz carbonique émis par les combustibles fossiles (et la déforestation pour fin d’élevage et de culture). Quant à la malbouffe d’une alimentation trop carnée, n’en prenons pas prétexte pour faire le procès de la nouvelle classe moyenne chinoise, mais plutôt de l’agro-industrie.

Le pétrole, surtout le pétrole bon marché, devient rare au fur et à mesure que se rapproche le « pic pétrolier » et que la demande des pays du BRIC s’envole mais aussi parce que le capitalisme investit peu dans les alternatives (conservation de l’énergie, efficacité énergétique, énergies douces). Ajoutons la volonté impérialiste de contrôler les pays pétroliers par la guerre, ce qui provoque la résistance mettant hors jeu des sources bon marché aussi importante que l’Iraq. Il en est de même pour la nourriture de base pour laquelle le capitalisme néolibéral a cessé d’investir en recherche-développement depuis la dite « révolution verte » qui avait grandement amélioré les rendements du sol au prix, cependant, de l’extension des méfaits de l’agro-industrie aux pays dépendants pour le profit des transnationales de la chimie et des grands propriétaires capitalistes du sol.

La fuite en avant aux dépens du prolétariat

Si le cœur de l’exploitation capitaliste devenait rentier — un pays du G7 aussi important que le Canada le devient quelque peu avec des investissements dans le pétrole issu des sables bitumineux aussi importants en 2007 que l’ensemble des investissements manufacturiers — ce serait un important saut qualitatif régressif aux dépens du prolétariat qui ferait face à des prix alimentaires et énergétiques à la hausse à commencer par le prolétariat des pays dépendants et les femmes prolétaires. Un tel nouveau régime d’accumulation ne serait viable qu’au prix d’une baisse importante du niveau de vie prolétarien de sorte à donner un espace suffisant au profit dans le partage du gâteau entre rente et profit. Le pari capitaliste serait que des prix alimentaires et énergétiques élevés génèrent un boom de l’investissement mettant en place un nouveau système énergétique et alimentaire sur le dos du prolétariat et des peuples du monde.

Le boom serait à base de gigantesques systèmes de captation du carbone des charbonnages dont la quantité est pléthorique, d’agro-carburants et de grands ensembles éoliens et solaires et… nucléaires qui envahiraient les paysages… mais avec un minimum de programmes de conservation/réduction énergétique, tout au plus un effort d’efficacité énergétique des équipements existants. La nouvelle prétendue « révolution verte » porterait à son comble l’industrialisation de l’agriculture, sans remise en question du régime alimentaire carné, salé et sucré ou à peine, sur la base de semences génétiquement modifiées plus productives mais nécessitant davantage d’engrais artificiels, de pesticides et d’eau.

La clef de cette sortie capitaliste de crise est de faire accepter au prolétariat une baisse radicale de son niveau de vie et aux peuples des pays dépendants, et de certains pays impérialistes comme le Canada et l’Australie, le pillage de leurs ressources tout en conservant ou modifiant la hiérarchie des nations. On devine les résistances et tensions qui aboutiront, aboutissent déjà, à des guerres du pétrole, plus tard de l’eau, et une crispation répressive des démocraties impérialistes.

Pour faire accepter une telle régression au prolétariat et aux peuples, la bourgeoisie s’efforce de coloniser les cerveaux par une idéologie aussi efficace que l’a été la peur du « communisme » et d’associer les classes dirigeantes du BRIC et des pays pétroliers comme partenaires junior du « vieil impérialisme ». Cette nouvelle idéologie est déjà toute prête : la panique face aux effets du réchauffement de la planète qui imposerait de se serrer la ceinture, c’est-à-dire l’écologisme comme idéologie au service du capital. La crise économique dans laquelle s’enfonce lentement mais irrémédiablement les ÉU, suivi du restant du monde, sera le traitement de choc qu’appelle la bourgeoisie pour implanter cette nouvelle idéologie et ainsi casser la résistance prolétarienne à cette nouvelle donne.

Pour la bourgeoisie, ne saurait être toléré plus longtemps la superbe du prolétariat des grands pays de la zone euro, surtout français, au point que sa banque centrale n’y baisse même pas les taux d’intérêt pour contrer les nuages de la crise à l’horizon afin d’y maintenir un relatif haut taux de chômage. Aux ÉU, en 2006, la hausse des salaires horaires des employés de la production avait atteint un sommet depuis 1979 sinon avant : vive la crise se dit la bourgeoisie tout en sauvant les banques de la banqueroute par une baisse rapide des taux d’intérêt et une profusion de prêts sans garanti. Au Canada, où un phénomène similaire a court, une montée du chômage « guérirait » le prolétariat de sa « paresse » lui faisant refuser les bas salaires et les mauvaises conditions de travail d’où la multiplication des annonces « Nous embauchons ».

Perspective écosocialiste pour 2050

Il est possible à la gauche d’opposer à ce dérapage une perspective anticapitaliste consistant à mobiliser l’économie dans la même mesure, par exemple, que le Canada l’a fait lors de la Deuxième guerre mondiale non pas pour « l’effort de guerre » bourgeois mais pour un monde écosocialiste. La clef de l’écosocialisme, c’est la rupture avec l’accumulation du capital et son corollaire, le consumérisme. Le consumérisme, c’est l’idéologie/mode de vie mise au point aux ÉU dans les années 1920 pour se substituer à la revendication fondamentale de la baisse du temps de travail sans baisse de salaire — « 30 payées 40 » disaient les syndicalistes de gauche des années 30 — au cœur de la tradition du 1er mai. Cette stagnation de la baisse du temps de travail, alors que depuis 60 ans la productivité du travail a été multiplié par trois, a non seulement été facteur de chômage endémique mais elle a aussi envenimé le phénomène de la double journée de travail des femmes. Après la parenthèse crise-guerre de 1929-1945, le consumérisme devint la norme que l’impérialisme étasunien triomphant imposa à l’ensemble des pays impérialistes.

« Mai 68 », cette grande révolte de la jeunesse mondiale contre l’autorité et pour la liberté, qui en France s’est haussée au niveau d’une situation pré-révolutionnaire par la jonction universités-usines, a été fondamentalement vaincue par le consumérisme dont les générations ouvrières précédentes, qui avaient manqué de l’essentiel, voyaient comme un grand gain. Les directions syndicales satisfaites du compromis consumériste purent ainsi s’appuyer sur ces générations plus âgées pour gagner de leur vis-à-vis patronal, avec ou sans négociations, une amélioration des salaires, conditions de travail et services publics plus qu’annulée dans les années néolibérales subséquentes. Ce consumérisme, par la télévision, devint l’aspiration aliénante d’une grande partie des peuples des pays dépendants à laquelle accèdent dorénavant leurs classes dite moyennes certes très nombreuses mais qui restent une claire minorité. L’écosocialisme, c’est donc le lien retrouvé avec le meilleur de la tradition ouvrière et féministe du siècle passé.

La rupture avec l’accumulation/consumérisme rend possible une révolution énergétique basée sur la réduction de la production à confort égal. Dans les pays impérialistes, grâce à un plan centralisé, décidé démocratiquement et appliqué localement, cette révolution reposera en priorité sur la conservation de l’énergie et l’efficacité énergétique complété par les énergies solaire et éolienne. Ces dernières remplaceront graduellement par la suite les énergies fossiles, nucléaire et hydroélectrique, destructrice d’écosystèmes aquatiques et productrice de mercure. Pour les pays dépendants, elles combleront les besoins nouveaux.

L’élément clef de la conservation de l’énergie, c’est la substitution du transport collectif, électrifié et socialisé, au transport individuel, pétrolier et privé Son corollaire pour les marchandises, est le transport intermodal socialisé, ne réservant au camionnage électrifié que le segment de la collecte et de la desserte locales. Même là, le transport à longue distance, international et inter-régional, devra être réduit sur la base de l’application du principe de la souveraineté alimentaire et de l’autosuffisance. L’internationalisme écosocialiste est plus une affaire de circulation sans entrave des idées et des personnes, hors tourisme industriel de masse, que des marchandises, à réduire, et surtout du capital-argent, à proscrire sauf entente entre les peuples.

La rupture avec l’accumulation/consumérisme rend aussi possible le rejet de l’agro-industrie, qui cherche la maximisation du profit fondamentalement par la maximisation de la productivité de la force de travail, tout en la rémunérant le moins possible, sans égard à la qualité des sols, de l’eau et de l’air ni à l’économie de l’eau et des intrants fossilisés. La porte sera ainsi ouverte à la bio-agriculture qui maximise la productivité du sol sous contrainte de la conservation de sa qualité, en lui restituant la totalité des éléments consommés, tout en minimisant sur cette base l’usage de l’eau et de la force de travail et en tendant à éliminer les apports d’intrants fossilisés.

Révolution énergétique et révolution agricole — la nourriture étant une forme énergétique consommable par l’humain dont il fait une activité sociale — appellent à leur tour une révolution urbaine dont celle de l’habitat. Ce qui est à l’ordre du jour est à terme la disparition de la dichotomie ville/campagne. Les banlieues pavillonnaires léguées par le complexe auto-pétrole-bungalow de l’ère consumériste sont non seulement terriblement énergivores et destructrices des meilleurs sols agraires par leur étalement mais elles emprisonnent le prolétariat dans l’individualisme consumériste, négation de l’individu libéré et créateur appelé par « Mai 68 », tout en l’enchaînant au capital financier par l’endettement. S’y substitueraient de denses îlots urbains mixant les fonctions dont des jardins urbains tout en optimisant la communication virtuelle et la circulation interne sans moyens de transport motorisé. La « campagne » de cette ville/campagne lierait ces îlots hiérarchisés que joindrait le transport public.

Cette révolution écologique, seul moyen d’atteindre les objectifs du GIEC pour 2050, appelle une révolution socialiste concomitante car, on l’a constaté, elle est incompatible avec l’accumulation du capital et son corollaire consumériste tout en requérant une planification d’ensemble dont la mise en œuvre est impérative. C’est cette obligation de résultat qui impose la démocratie participative, mélange de démocratie directe et représentative avec rapport régulier, droit de rappel et limites de terme, car pour y arriver en si peu de temps il faut la participation créative de chacun et chacune. Faut-il ajouter que la démocratie participative, quand elle est prise au sérieux, donne au prolétariat pauvre, aux femmes et aux minorités nationales toute leur place. Quant à la bureaucratie étatique, elle n’est pas l’alternative du « libre marché » mais son alter ego hiérarchique et répressif, éteignoir de toute initiative et créativité.

Un programme transitoire pour 2020 dans les pays impérialistes

Un monde libéré des diktats du capital financier et des guerres d’agression/occupation est indispensable à la mise en œuvre du programme écosocialiste. Doit être démantelé le cadre institutionnel libre-échangiste et guerrier tel l’ALÉNA, l’OMC, l’OTAN et NORAD. Doivent leur être substituées des ententes inter-étatiques de nature commerciale/financière, scientifique et culturelle de type ALBA (entente entre le Venezuela, Cuba, Bolivie et Équateur basée sur les avantages réciproques sans égard aux prix du marché global) dans le but de sécuriser les approvisionnements alimentaires et énergétiques vitaux de chacun, d’organiser des échanges internationaux réciproquement avantageux dont le transfert unilatéral et gratuit des technologies écologiques. L’exploitation impérialiste empêche les pays dépendants de prendre le virage écosocialiste : la dette des pays dépendants doit être abolie tout comme les programmes d’ajustement structurel.

L’ampleur et l’urgence du programme écosocialiste exige le contrôle des flux d’épargnes et d’investissements ce qui requiert la socialisation (nationalisation/démocratisation) sans compensation — comme contrepartie des méfaits de la spéculation — de l’ensemble des institutions financières et des fonds d’investissements. Les plans d’investissements et les budgets nationaux, et graduellement internationaux en débutant par un fonds de développement écologique, seront soumis au processus du « budget participatif ». En complément, sera socialisée sans compensation — comme contrepartie du pillage, de la surexploitation et de la désinformation — l’exploitation des ressources naturelles et des terres possédés par les entreprises et les grands propriétaires fonciers de même que les moyens de transport et de communication, et les grands médias.

Le complexe auto/pétrole/bungalow doit être immédiatement démantelé par l’interdiction de l’automobile individuelle au moins dans les grandes villes, l’électrification du transport à partir de sources renouvelables et l’interdiction de la construction de maisons unifamiliales au moins dans les grandes villes et de celle de systèmes autoroutiers. Au Canada, l’exploitation des sables bitumineux doit être arrêtée et démantelée tout comme l’industrie automobile ontarienne reconvertie. Au Québec, sans industrie automobile ni pétrolière sauf les raffineries, c’est le complexe CAM (ciment, asphalte et madrier) au cœur duquel on trouve Hydro-Québec et le ministère des Transports, qui mène le bal d’où l’importance non seulement écologique mais politique d’un moratoire sur la construction de barrages.

Par contre, doivent être entrepris de vastes chantiers de rénovation de l’enveloppe thermique de tous les bâtiments selon les technologies écologiques les plus avancées et la construction de logements sociaux écologiquement avant-gardistes, par exemple 10 000 l’an au Québec. Un autre chantier à entreprendre sera la construction d’un système de trains de banlieue, métros, tramways, autobus, voies cyclables et bicyclettes publiques dans les villes grandes et moyennes, qui soit dense, à fréquence élevée et gratuit. S’impose de même un réseau de trains inter-urbains et de cabotage pour marchandises et passagers. Au Québec, l’électricité du système de transport sera puisée dans les « négawatts » des bâtiments dont la consommation sera réduite de plus de la moitié sans compter que sa matrice industrielle produit déjà une panoplie de moyens de transport collectifs.

Agriculture et foresterie seront basées sur des fermes biologiques, familiales et coopératives, qui délaisseront la production carnée pour la production de céréales, de légumineuses et de fruits et légumes, de bois de construction — la production de papier, surtout de papier-journal, doit graduellement disparaître — destinée prioritairement aux marchés locaux. Ces produits seront prioritairement transformés en régions et distribués de plus en plus par des marchés locaux, par des magasins accessibles à pied et par Internet, ce qui suppose un contrôle populaire de toute la chaîne, du producteur au distributeur en passant par le transformateur. Ainsi, la coupe ne sera plus l’activité prioritaire en forêt publique laquelle sera contrôlée par des comités forestiers locaux encadrés nationalement. De même, la production éolienne en zone municipalisée sera-t-elle mise en œuvre localement dans un cadre national.

Le budget national, et la fiscalité concomitante, sera suffisant pour financer des services entièrement publics pour tout le monde, sans file d’attente, sans tarifs et employant la meilleure technologie, y compris pour les garderies et la justice. Prévention et éducation écosocialiste seront les priorités des systèmes de santé et d’éducation. Ces services publics seront contrôlés conjointement par les gouvernements et les comités d’employées et d’usagères où les femmes prendront toute leur place. Les médias seront financés publiquement, sans publicité commerciale, et dirigés par des coopératives de lectrices. Sera encouragée la syndicalisation mur à mur, y compris multi-patronale, et sera assuré le financement stable des groupes populaires au prorata de leur membership et de sa participation, mesures spécialement favorables au prolétariat pauvre et aux femmes.

Lutte contre le chômage et la pauvreté comme celle contre le consumérisme passent par la baisse du temps de travail sans baisse de salaire. Ainsi plein emploi et écosocialisme, que la bourgeoisie oppose, s’en trouvent-ils réconciliés et unis dans une lutte commune. Le temps de travail doit donc être abaissé jusqu’à l’atteinte du plein emploi sous la contrainte des tâches écosocialistes que la société s’est fixée. Faut-il ajouter que les fermeture ou congédiements massifs par des entreprises rentables seraient interdits sous peine d’expropriation et de fermeture du marché national. De même, le ré-embauchage, le recyclage et la prise en charge des retraites dus aux banqueroutes seraient à la charge des entreprises concurrentes.

Rétablir l’équilibre démographique dû au vieillissement de la population tout en accélérant la proportion de temps libre de la population en âge de travailler, nécessaire pour élever le niveau culturel et la participation politique mais aussi éviter les conflits entre générations, requiert une politique de recherche-développement pour augmenter la productivité du travail sans cependant le faire au détriment des écosystèmes. Cette hausse de la productivité ne suffira sans doute pas car la marche est haute. Pour assurer la participation des jeunes mères, des handicapées, des minorités visibles et des personnes âgées au marché du travail seront établis des politiques de conciliation famille-travail qui complèteront le réseau de garderies gratuites, des quotas d’embauche au prorata tant pour le public que le privé, et une politique de transition à la retraite avec incitation financière. Le plein emploi facilitera l’accueil généreux et sans discrimination de l’immigration au niveau d’au moins 1% de la population totale par année, ce qui bénéficiera surtout au prolétariat non blanc des pays dépendants.

L’ampleur de la mobilisation populaire nécessaire pour la construction d’une société écosocialiste n’est compatible que pour des peuples libérés de l’oppression nationale. Les populations aborigènes doivent être reconnues comme nations jusqu’à et y compris le droit de former des États indépendants, y compris au sein des pays impérialistes comme les ÉU, le Canada/Québec, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les pays scandinaves. C’est aux gouvernements de ces pays de leur offrir des pactes fédératifs leur reconnaissant des territoires, certains en exclusivité et d’autres en gestion partagée, et d’importantes compensations financières pour génocide et pillage. Leurs territoires sont riches de ressources naturelles, dont les grands vents, en particulier au Québec. Elles seront heureuses de les mettre au service de l’humanité si elles les exploitent elles-mêmes selon leurs valeurs respectueuses de la terre-mère.

Quant au Québec, comme sans doute l’Irlande du Nord et l’Euskadi et pour les mêmes raisons historiques de peuple conquis et jamais soumis, il ne saurait relever le défi écosocialiste sans laver un quart de millénaire d’humiliation et de mépris national, dont celle de sa langue, par l’obtention de son indépendance. C’est l’oppression nationale qui isole un peuple des affaires mondiales car c’est l’oppresseur qui parle en son nom. L’indépendance nationale, au contraire, donne droit et même impose la participation au concert des nations. Le gouvernement d’un Québec indépendant et ses partis politiques devront obligatoirement se positionner sur les questions internationales particulièrement celles afférant au processus de Kyoto, aux guerres et occupations, et aux accords financiers et commerciaux, stimulant d’autant le débat national sur ces sujets. La lutte pour l’indépendance n’est donc pas une diversion anti-altermondialiste, un repli sur soi, mais la porte d’entrée du combat internationaliste.

Marc Bonhomme, 26 août 2008

1 commentaire:

Nicole Olivier a dit…

Le présent texte propose différentes interventions pour modifier le système économique. De façon générale, je suis assez en accord avec la finalité des solutions préconisées. Je me demande cependant quelle seront les étapes à franchir pour les atteindre. Le chemin est aussi important pour moi que la destination.
Cependant, je pense qu'il faudrait d'abord reformuler l'ensemble des postulats de ce texte pour qu'il soit plus pédagogique et accessible aux citoyens. Il s'agit pour moi d'un texte qui contient énormément de références qui ont sans doute un sens pour les militants de longue date de la gauche, mais qui est un charabia pour le "prolétariat" dont je fais parti.
Parce qu'en bout de ligne, si nous souhaitons réformer le système économique, il est nécessaire que ceux qui pourront réellement le modifier, soit les citoyens-consommateur, soient en mesure de comprendre pourquoi il faut faire ces changements. L'économie de sur-consommation et néo-libérale que nous voulons combattre implique d'abord que le consommateur-citoyen puisse faire adéquatement des choix en commençant par son éducation.

Nicole Olivier